Nous sommes maintenant à l’embouchure de pont Reid, qui surplombe le Rapide de l’Orignal, toponymie originale de Mont-Laurier. La légende voulant qu’un orignal, pourchassé par des chasseurs Anishinàbeg, aurait effectué un bond majestueux par-dessus les rapides pour échapper à ses poursuivants. Le mythe subsiste chez les Anishinàbeg pendant des siècles qui le transmettent aux premiers colons blancs qui viennent s’établir ici.
De l’autre côté du Pont, sur votre gauche, vous pouvez apercevoir la centrale électrique de Mont-Laurier. L’histoire de cette dernière peut être retracée jusqu’aux tout débuts de la colonie, alors que celui qui est considéré comme premier habitant de Mont-Laurier, Solime Alix, vient s’établir dans la région en 1885, sur le conseil du curé Labelle. Il s’installe aux côtés du Rapide de l’Orignal, en haut d’une colline, anticipant déjà le pouvoir électrique qu’il sera possible d’harnacher à cet endroit. Sa maison, la première du village, est toujours présente derrière l’usine électrique. Vous pouvez admirer ce magnifique exemple de construction en pièce sur pièce à partir de la rue du Portage.
Quelques années plus tard, en 1903, M. Alix, lui-même trop occupé, écrit une lettre ouverte dans la Presse de Montréal pour tenter d’attirer un entrepreneur désireux de se lancer dans le projet. C’est Jean-Baptiste Reid, homme d’affaires d’origine écossaise de Sainte-Agathe qui répond à l’appel. Son épouse, Eliza Pelletier, achète en 1911 une partie du lot de Solime Alix sur le bord de la rivière du Lièvre, côté nord alors que M. Jean-Baptiste acquiert le lot en face, sur l’autre rive, du curé Génier.
En 1911, une digue est construite et en 1926 le pont couvert Allard est remplacé par un modèle en béton plus moderne. En 1937, on y ajoute un barrage qui vient augmenter le pouvoir d’eau exploitable par les turbines de l’usine. Le pont Reid prend finalement la forme que vous pouvez voir devant vous en 1952 lorsqu’une passerelle piétonne est ajoutée à l’ouvrage.
Les décennies suivantes ne sont pas de tout repos pour l’entreprise de M. Reid. L’usine est victime de nombreux problèmes matériels imprévus qui ralentissent les travaux et engendrent des coûts faramineux. De plus, suite à la construction du barrage en 1937, M. Reid est sous les attaques juridiques constantes du propriétaire de la scierie Eagle Lumber, Séraphin Bock. Ce dernier a vu ses activités être négativement impactées par la hausse du niveau de l’eau en amont du barrage. Puis, dernier coup dur, le fils de Jean-Baptiste Reid, Rosario, meurt d’un accident dans la centrale en 1926. Fatigué et au bout de ses forces, l’entrepreneur d’origine écossaise se résout à vendre l’entreprise. L’usine est finalement vendue en 1935 au docteur laurier-montois Toussaint Lachapelle pour un montant estimé à 113 659$. L’acte de vente est signé le 29 mars. Le 28 mars, la veille, M. Reid décède après des années de dur labeur dans un projet qui remontait à l’origine de la colonie.
L’usine électrique de Mont-Laurier reste la propriété d’entrepreneurs locaux jusque dans les années 1960, alors que le gouvernement de Jean Lesage parle de son projet de créer une société d’État ayant monopole sur l’électricité. Le projet s’achève en 1967 et c’est le 22 novembre de cette année qu’est signé le contrat de vente entre l’électrique de Mont-Laurier et Hydro-Québec. La société d’État ne se servira toutefois pas des installations et les revendra à une de ses filiales, Hydroméga, qui opèreront l’usine jusqu’en 1987. La filiale se départira finalement de l’édifice pour la vendre à Algonquin Power, qui est toujours propriétaire aujourd’hui.