Vous avez déjà entendu parler des Filles du Roy?
Bonjour je suis Anne Foubert et je suis l’une des 761 filles à marier que le Roi Louis XIV a recrutées pour peupler la nouvelle colonie, la Nouvelle-France, de 1663 à 1673.
Je suis née en Brie, non loin de Paris en France. Chez nous c’est la guerre, des guerres de territoires, de religions, les armées ravagent tout sur leur passage, transportant la petite vérole de village en village, semant la terreur, détruisant les récoltes. C’est la famine, les épidémies, et moi orpheline quel avenir je peux bien espérer ? Je n’ai même pas de dot à offrir... J’ai 19 ans.
J’ai entendu dire que le Roi Louis XIV recrutait des femmes, travaillantes, débrouillardes prêtent à faire la traversée vers une vie meilleure. Il paie pour le voyage (aller seulement). Il voit à notre installation, nous permet de choisir nous-mêmes notre mari et offre une dot !
Ha, je n’ai pas hésité bien longtemps et en juin 1670, je suis montée à bord du navire La NF - je n’étais pas seule, parmi les passagers, nous étions 120 filles à marier, avec des accompagnatrices.
Trois mois de traversée
Trois mois de traversée, entassées comme des sardines au fond d’une barrique parce que oui, nous les femmes seules on nous installe dans la Sainte-Barbe, cet endroit sombre, exigu, collé les unes et les uns sur les autres, nourrit de poissons séchés et de biscuits de marin et à boire, de l’eau croupie. On endure l’odeur du bétail de l’étage juste en dessous en plus de celle de tout le monde et du seau où chacun va se soulager et... qu’un matelot vient vider de temps en temps.
Arrivée à destination
Arrivée à destination, vous vous imaginez dans quel état on est ? Maigres, faibles, titubantes, s’accrochant l’une à l’autre pour ne pas tomber.
Marguerite Bourgeois nous accueille à la ferme de la Providence à Ville-Marie où l’on se refait une santé.
Et moi 2 semaines après mon arrivée, j’étais prête à choisir mon mari.
Marguerite Bourgeois, c’est elle qui nous baptise les Filles du Roy. Elle nous conseille de faire le bon choix : a-t-il une terre ? Une cabane déjà bâtie ? Un bon métier ?
Vous savez qu’à mon époque en Nouvelle-France, il y a 6 à 14 hommes pour une femme.
Il n’était pas rare qu’une fille du Roy annule un contrat de mariage pour arrêter son choix sur un meilleur parti.... tant qu’elle n’était pas passé devant M. le curé !
Moi je choisis comme mari : Pierre Boisseau.
Notre union se fait dans la paroisse Notre-Dame à Ville-Marie et on a pour témoin, Charles Le Moyne lui-même, sieur de Longueuil.
Pierre c’est un Breton. Il connait ça la terre, lui. Il en achète, il en revend.
Moi de mon côté, je suis bien déterminée à remplir ma mission pour le roi, celle de prendre mari et pays, fonder famille, bref, de mettre au monde un nouveau monde.
Au début, on s’installe à Longueuil, puis à Varennes et finalement, Pierre achète en 1678 avec Pierre Chicoine, la seigneurie de Vitré, ici, à Verchères, qu’ils scindent en 2. Notre seigneurie porte le nom de La Boisselière et se situe entre la limite de Contrecœur et la seigneurie de Verchères, celle du sieur François Jarret.
Notre installation sur une terre en bois d’boutte, se trouve le long du fleuve. Des terres défrichées bien profitables. Faut apprendre à se débrouiller seule ; tout est à faire. La vie est difficile, mais je suis pleine d’espoir. Quand on est jeune, en santé, la Nouvelle-France c’est peut-être le paradis dont on rêve : un mari, une terre avec une maison à remplir d’enfants, pour sortir de la misère et se bâtir un avenir.
Malgré tout le bon vouloir, nous quittons Verchères, pour s’installer à Ville-Marie en 1691 à cause des attaques incessantes des Iroquois et du danger pour notre famille, sans toutefois nous départir de notre domaine que nous louons à Jean Massault dit Saint-Martin.
Nous ne sommes pas témoin de l’exploit de la jeune Madeleine de Verchères en 1692, mais nous la connaissons bien, elle est née la même année que ma petite Marie-Madeleine.
Je mets au monde 17 enfants. 11 d’entre eux meurent avant d’atteindre l’âge adulte.
Essayez de vous imaginer notre vie dans ce milieu austère et sauvage, ça prenait un courage à toute épreuve.
Je deviens veuve à 48 ans. Pierre décède à notre retour de Ville-Marie, il a 53 ans. Je ne désire pas me remarier, comme le font plusieurs de mes consœurs.
Je lui survis pendant 30 ans; Je gère la seigneurie de la Boisselière et m’occupe des marchandises, des dettes et des affaires familiales.
Je l’ai fait ! J’ai réussi ! J’ai contribué à bâtir un pays. Il nous a fallu une résilience remarquable pour poursuivre, sans repos, sans relâche, avec beaucoup d’entraide, de générosité et de détermination. Qui aurait cru ? J’étais orpheline/pauvresse en France et Seigneuresse dans ce nouveau monde !
Je vois Verchères aujourd’hui et suis fière de son évolution.
À mes 350 000 descendants : les Boisseau, Bouvier, Chaufour, Chicoine, Dansereau, Duhamel, Foisy, La Serre
Je vous dis : Que la vie vous soit belle !