« Plus loin, Jack le mulet s’obstine à rester en arrière, et on a mille peines à lui faire rejoindre la colonne. Enfin, quand on a atteint le camp, à la nuit, transi, mouillé, affamé, épuisé, c’est pour trouver la tente aplatie sur le sol et recouverte d’une forte couche de neige. Donnant d’abord aux chevaux les soins qu’ils réclament, nous nous mettons à l’œuvre avec les pelles, et après deux heures de dur travail, nous tirons sur les cordes pour retendre la toile, ce qui n’est pas mince affaire, la tente ayant huit mètres de long sur cinq de large et de haut; puis il faut couper le bois imprégné d’eau et impossible à allumer. Après quelques jours de rude labeur, toute la cache du sommet est transférée à Log Cabin, et maintenant il va falloir la reporter plus loin, à Bennett, ou même plus loin encore, si la glace des lacs Lindemann et autres tient bon encore quelques semaines.
La piste est encombrée, les fondrières sont nombreuses, en partie comblées par les cadavres de chevaux, dépecés, gluants, réduits en bouillie. C’est une série ininterrompue de fosses longues de deux ou trois mètres et profondes d’un mètre plus ou moins; la marche consiste à descendre ces cavités et à les gravir, de sorte que tantôt c’est le cheval qui y disparaît, tantôt le traîneau.
Ce qu’on y a brisé de traits, de limons, de traîneaux! Et combien de chevaux s’y sont tués! Une rapide inspection de la route suffit à révéler le triste état des choses : on ne voit sur ses bords que lambeaux de chair éparpillés et débris en tous genres. »
Extrait de Aux mines d’or du Klondike : du lac Bennett à Dawson City, Léon Boillot
Photo : Campement de la White Pass
Crédit dessin : A. Paris d’après la photographie de M. Goldschmidt