Vous voyez ce majestueux fleuve? C’est sur celui-ci que je suis arrivée, accompagnée de mes quatre sœurs, de notre père et de notre mère, Marie Vienot, en 1671. Mon père avait fait le voyage pour tenter de tirer profit du développement des tanneries que le ministre voulait faire établir. Mon père apportait avec lui plus de quatre générations de savoir-faire en la matière. Il connaissait ça, c’est moi qui vous le dis! Je m’appelle Marie Raclot et voici ma petite histoire.
Sans vouloir me vanter, ça prenait une bonne dose de courage pour affronter les mers incertaines et quitter notre Champagne natale. Mais le goût de l’aventure, on a ça dans le sang, nous, les Raclot! Ce n’est donc sûrement pas un hasard si, quelques mois à peine après mon arrivée, j’ai épousé le cultivateur et voyageur René Baudouin et que j’ai partagé de belles aventures avec lui pendant près de 25 ans. Après tout, tannerie rime avec traite des fourrures. Les mauvaises langues diront que ma dot de 1000 livres, plus une dot royale de 100 livres, somme considérable pour l’époque, faisaient de moi un parti fort intéressant. Je crois surtout que c’est pour ma ténacité et ma débrouillardise que René m’a choisie. Sa confiance en moi était si grande qu’il m’a donné une procuration générale en 1682 pour que je gère ses nombreuses affaires pendant ses absences. Avec nos sept enfants et les nombreuses terres que nous avons acquises au fil du temps, on ne peut pas dire que j’ai chômé!
Deux de mes sœurs ont également eu des vies palpitantes ici en Nouvelle-France. Françoise, l’aînée de la famille, a épousé Michel David et a embrassé la belle profession de sage-femme aux Trois-Rivières. C’est probablement Madeleine qui eut la vie la plus mouvementée par son mariage avec le célèbre Nicolas Perrot, aventurier et capitaine de la côte de Bécancour. Peut-être est-ce à cause de l’accumulation d’inquiétudes envers son mari, mais la pauvre a vécu quatre années de démence avant la fin de ses jours, en 1724. Je n’ai heureusement pas assisté à ce triste spectacle, parce que je suis décédée à la fin du 17e siècle.
La lignée des Beaudoin est maintenant bien imprégnée dans les racines de Champlain, voire de la province de Québec en entier. J’aime croire qu’il y a un peu de moi, Marie Raclot, qui coule dans les veines de ces générations présentes et à venir.