Source : Autrefois à l’emplacement du 67, rue Principale / Crédit photo : BAnQ
L’immeuble de co-propriété que vous voyez au 67, rue Principale fut construit en 2015. Son nom, le Clos du faucon, tout comme son architecture, sont inspirés de la ferme qui s’y trouvait jusqu’à l’aube des années 2000.
En 1936, John Henry Molson fait l’acquisition des lots 393 à 398. On y retrouve une maison de style boomtown, toujours présente au numéro 95, rue Principale, une petite ferme avec une maison centenaire alors propriété d’Ovila Beaulieu, et une partie de la colline en arrière de la ferme que l’on appelle depuis le Cap Molson. Sur ce promontoire que l’on peut apercevoir juste derrière le bâtiment actuel, il se fait construire une spacieuse demeure et, sur les terres en contrebas, il agrandit la ferme qu’il baptise Falconcroft. « Croft » est un terme traditionnel écossais qui désigne une terre cultivée entourée de murets.
John Henry Molson est issu d’une famille prospère montréalaise dont l’entreprise est intimement liée au développement économique du Québec depuis le 18e siècle. Lorsqu’il fait l’acquisition de terres à Saint-Sauveur-des-Monts, il a quarante ans et occupe le poste de vice-président de la brasserie Molson.
Photo : John Henry Molson (1896-1977). Photographie : William Notman & Son Ltd.Musée McCord-Stewart, Montreal, 1949.
Il fait partie de la quatrième génération de Molson née au Canada et, tel qu'attendu des descendants de la lignée, il cultive la discrétion et le sens du devoir. Lors de la Première Guerre mondiale, il rejoint le régiment des Black Watch et est fait prisonnier deux mois avant l’armistice.
À son retour, il intègre la compagnie en simple employé et doit faire ses preuves pour gravir les échelons, un parcours obligé pour les Molson appelés à diriger l’entreprise. Sa carrière est concentrée sur la gestion du personnel et l’implantation de nombreux avantages sociaux.
Son implication auprès de la communauté de Saint-Sauveur est aussi exemplaire. Il fait don de plusieurs terrains au fil des ans sur lesquels se construisent le Chalet Pauline-Vanier, le parc John-H.-Molson, les chalets de ski des clubs « Penguins » et « Red Birds » et contribue à la création de la petite église anglicane St. Francis of the Birds sur l’avenue Saint-Denis.
John Henry Molson se passionne pour l’élevage. Comme son ancêtre John Molson, le fondateur de la brasserie qui avait pour passe-temps la culture de légumes et de fruits de variétés remarquables, il est motivé par le désir de développer des spécimens de première qualité.
Photo : Un troupeau de vaches Jersey dans le champ devant la ferme. On aperçoit en arrière-plan le Cap Molson.
C’est au contact d’un éleveur d’Huntingdon, WIlliam C. Winter, que son enthousiasme pour l’élevage des vaches Jerseys se développe.
Falconcroft devient une ferme modèle reconnue au-delà des frontières. John Henry acquiert d'ailleurs des taureaux exceptionnels pour améliorer son troupeau et ce qui lui permet de faire le commerce de la semence de ses meilleurs reproducteurs. Soucieux du bien-être animal, ses bêtes évoluent dans un milieu salubre et vivent essentiellement en plein air. Un journaliste du Bulletin des agriculteurs rapporte en 1960 que la laiterie est d’une propreté immaculée et l’étable conçue en acier inoxydable, est impeccable.
La vache Jersey est réputée pour son lait riche en matières grasses et en protéines, idéal pour le beurre et le fromage.
Photographie : Fromagerie Missiska, Bedford. Vache de Jersey.
Tel que son nom l’indique, elle provient de l’île de Jersey, une des îles de la Manche, où son isolement garantit la pureté de la race. Elle est introduite au Québec dans la deuxième moitié du 19e siècle, embarquée sur les bateaux de migrants pour fournir le lait durant le voyage. Son tempérament doux, sa robe fauve et ses yeux proéminents aux longs cils, en font une race appréciée des éleveurs et du public.
Sous la direction de Philippe Lalonde, gérant de la laiterie de Falconcroft pendant près de vingt ans, le programme d’amélioration génétique est une réussite. En font foi les prix remportés dans les concours agricoles, comme cette médaille d’or attribuée au taureau « Falconcroft z Milkman » grâce à qui ses 14 vaches affichent une moyenne de 11,953 lbs de lait et 647 de gras selon Le Clairon de Saint-Hyacinthe du 12 mai 1966.
La ferme ne serait pas complète sans son potager, ses petits fruits et sa volaille, composée de poulets et faisans. Le poulailler a son propre système de ventilation et de climatisation, une nouveauté pour l’époque. Pour l'anecdote, on raconte que les skieurs rencontraient parfois sur les pistes des gallinacés échappés de la ferme. Et que dire du vin de cassis de madame Lalonde qui est, selon J. H. Molson, bien supérieur aux portos importés et très appréciés de ses amis du Golden Square Mile montréalais.
Photo : Poulailler de la ferme Falconcroft 1960-1970.
Falconcroft a résisté longtemps aux changements qui sont survenus dans le paysage de Saint-Sauveur. La ferme ayant été en activité près de quarante ans, c’est dire que plusieurs habitants de la région se souviennent encore de sa présence.
Photo : Calendrier rotatif à l’insigne de la ferme Falconcroft pour la planification des vêlages.
Comme l’a écrit Michel Fortier dans le Journal de Prévost : « La ferme Molson a marqué mon enfance, lorsque ma famille se rendait toutes les fins de semaine au chalet du lac des Becs-Scies. Avant qu’on y construise l’autoroute des Laurentides, c’était un incontournable. Tout le monde qui se rendait au village de Saint-Sauveur passait obligatoirement devant la ferme. Occasionnellement, on s’y arrêtait pour admirer ou nourrir avec des touffes d’herbes, les belles vaches Jersey qu’on y élevait. »
John Henry Molson vend sa ferme en 1971 à l’âge de 75 ans. Le reste des terres et sa maison sur le Cap Molson sont vendus à sa mort en 1977 par ses héritiers. Une vente aux enchères est organisée, ils sont plusieurs assistent, dont, l’auteur-compositeur Jean-Pierre Ferland, qui en rapporte deux petits veaux pour sa ferme de Saint-Norbert.
La ferme est abandonnée graduellement et des travaux, effectués en 2005, emporteront les derniers témoins d’une exploitation agricole originale qui a contribué à l’évolution des élevages de Jersey au Québec.