LE PREMIER COUVENT
Mgr de Laval pour qui l'éducation est primordiale chez les petits Canadiens mûrit le projet de procurer l'instruction aux jeunes filles de la Seigneurie de Beaupré. Ce projet est partagé par les dirigeants du Séminaire. Les ecclésiastiques sollicitent donc les soeurs de la Congrégation Notre-Dame, établie depuis peu à Sainte-Famille sur l'île d'Orléans. Ils leur promettent, en échange de leur enseignement, d'entretenir deux maîtresses et de leur construire une maison sur la terre domaniale à Château-Richer. C'est en 1689 que la Mère Marguerite Bourgeoys établit un couvent pour jeunes filles dans la Seigneurie de Beaupré.
Marguerite Bourgeoys confie à une toute jeune soeur de 17 ans, Marguerite Trottier, la mission de Château-Richer. Cette dernière, qui vient à peine de prononcer ses voeux en compagnie de sa soeur Catherine, était plus que chagrinée de devoir la quitter de même que la communauté de Ville-Marie où elle était demeurée depuis son enfance. Il semble pourtant que les bons mots de la fondatrice ont su réconforter la jeune soeur Trottier. La soeur Trottier oeuvrera jusqu'en 1705 à Château-Richer pour ensuite retourner à Ville-Marie.
On commence à parler de construction d'un bâtiment en 1694, mais ce n'est qu'en 1696 que Mgr de Laval fait construire le premier couvent servant à la fois d'école et de logis pour les deux maîtresses. Il le fait ériger de ses propres deniers sur la devanture d'un emplacement de la terre ayant appartenu à Olivier Letardif.
Le couvent est situé au sud du chemin Royal, près du moulin à vent au bord de l'eau. L'emplacement mesure environ 110 pieds de front. La bâtisse de deux étages est construite en pierre et mesure 45 pieds sur 30 pieds. Une cinquantaine de jeunes filles de la Côte-de-Beaupré peuvent y être accueillies. Le Séminaire accueille, de 1696 à 1700, une vingtaine d'écolières par charité, étant donné l'incapacité des parents de payer la pension des jeunes filles.
L'ACTE DE FONDATION
La fondation officielle a lieu le 23 février 1697. Les Soeurs de la Congrégation s'engagent fermement à dispenser l'enseignement aux jeunes filles tandis que le Séminaire et Mgr de Laval les assurent, d'une part, d'une rente annuelle à deux soeurs de bonnes moeurs qu'ils choisissent et d'aute part, de la jouissance du couvent comme logis pour "leur usage seulement et non en propre". Quant aux habitants de Château-Richer, ils déclarent recevoir l'engagement du Séminaire et de Mgr de Laval et ils affirment qu'ils profiteront du système d'éducation préconisé pour leurs jeunes filles.
LE COUVENT ET LA CONQUÊTE
De sa fondation jusqu'à la Conquête anglaise, le Séminaire continue d'assurer la subsistance des deux maîtresses du couvent mais la menace anglaise les fait fuir de Château-Richer et les entraîne vers Montréal. Elles ne reviendront plus jamais enseigner aux jeunes filles de notre paroisse, le couvent ayant été incendié par les hommes de Wolfe en 1759.
Le site du couvent incluant le terrain avoisinant sera loué le 25 avril 1761 à François Verreau pour une période de trois ans. Cet arrangement se fera pendant bien longtemps car les locations rapportent au Séminaire plusieurs revenus.
LE DEUXIÈME COUVENT
Lors d'une assemblée des paroissiens tenue le 27 décembre 1776 dans la chapelle de la congrégation, il est résolu de rétablir le couvent des soeurs incendié en 1759. Unanimement, ils se déclarent en faveur du projet et nomment deux syndics responsables de la prise en charge du projet. Il s'agit de Louis Gosselin et d'Ignace Gravelle, capitaine de Milice. Une visite des lieux du site démontre que les fondations encore en bon état peuvent recevoir la nouvelle bâtisse au même lieu et endroit.
Une requête est adressée auprès des directeurs du Séminaire de Québec le 1er janvier 1777. Le Séminaire reste muet et laisse en suspens la demande des paroissiens de Château-Richer. Ceux-ci avaient volontairement ou non oubliés que le couvent n'était pas leur propriété, mais bien celle du Séminaire. La requête n'avait aucune raison d'être. Le 13 février 1777, les habitants de Château-Richer se ravisent donc, ayant pris connaissance de l'existence du contrat de fondation de 1697, et présentent une nouvelle requête au Séminaire. La réponse du Séminaire arrive le mois suivant. Ses représentants déclarent "permettre le rétablissement du couvent de Château-Richer aux mêmes clauses, conditions, réserves exprimées dans l'acte de fondation". Les habitants de Château-Richer se montrent insatisfaits de la réponse du Séminaire et affirment que les conditions ne conviennent pas. Malgré deux assemblées, l'acte de refus est transmis au Séminaire le 6 avril 1777.
De nouvelles démarches pour la reconstruction du couvent débutent lors de l'assemblée du 24 mai 1829. Un ensemble de résolutions adoptées par les paroissiens décrètent la construction d'une maison d'école au village du Château-Richer.
Le contrat de concession du terrain du couvent comprenant toujours la clause de réversibilité est passé le 18 juillet 1829 et approuvé par les paroissiens lors de l'assemblée du 30 avril 1829.
La construction de l'école est terminé en 1830. Les habitants ont fourni le bois, les matériaux et les journées de travail. Le devis de maçonnerie de l'entrepreneur Gibeau, daté de 1829, confirme que les murs en ruine du premier couvent sont réutilisés pour la construction de ce deuxième couvent comptant deux étages, un toit à quatre versants et un clocheton. Les enseignants laïques instruisent les enfants jusqu'au rétablissement du couvent en 1870, ce qui amènera sur notre territoire la congrégation des Soeurs du Bon Pasteur.
Le 21 mai 1850, les commissaires d'école engagent Auguste Béchard pour la charge d'une école mixte, tenue dans la maison d'école construite en 1830, sur l'emplacement du premier couvent.
Par la suite, il est décidé d'établir une maison d'école modèle pour garçons dans le village. À cette fin, les commissaires louent la maison de Joseph Gravel. L'un des premiers maîtres est sans doute Louis Roberge qui quittera dès 1873 en raison du défaut de progrès de ses élèves et le manque de discipline dans sa classe. Il est alors remplacé par Mlle Marie Cauchon.
Le 10 avril 1870, les marguilliers décident de rétablir un couvent qui sera dirigé par des soeurs de leur choix et selon leurs convenances. Le 3 janvier 1870, la supérieure générale, mère Saint-Vincent-de-Paul, avait avisé le curé Richard que sa communauté acceptait la mission de Château-Richer. Le contrat des conventions est entériné entre la Fabrique et la congrégation des Soeurs du Bon Pasteur le 9 juillet 1870.
La bénédiction officielle du couvent et de la chapelle a lieu le 2 octobre 1870 et ce, malgré le fait que le couvent ne soit toujours pas complètement restauré comme en témoigne une résolution de l'assemblée des paroissiens tenue le 21 mai 1871 chargeant la Fabrique de continuer les travaux "encommencés".
Le 12 août 1886, les commissaires constatent la dégradation du couvent et son manque d'entretien, mais n'y peuvent rien puisqu'il est à la charge du Conseil de Fabrique. Afin de contrer cette détérioration et d'éviter le départ des religieuses, les commissaires demandent l'autorisation aux marguilliers de prendre en charge les travaux de rénovation nécessaires au couvent et ce, à leurs frais. Le 7 octobre 1887, on apprend que des réparations au couvent seront effectuées sous la surveillance de P.C. Lefrançois. À cette même époque, l'archevêque Taschereau approuve l'utilisation de 200$ pour l'installation d'un système de chauffage à eau chaude pour le couvent.
En 1890, les soeurs menacent sérieusement de quitter le couvent pour cause d'insalubrité. Religieuses et élèves tombent malades. Quatre soeurs sont décédées, probablement à cause des conditions du couvent. Le 13 avril, les commissaires discutent du rapport des arbitres, dont le docteur Vallée, et font face à une situation accablante. Par ailleurs, ils déplorent les demandes faites par les religieuses qu'ils qualifient "d'exorbitantes". Les religieuses demandent, en plus des réparations et du nettoyage du bâtiment, particulièrement au sous-sol et aux latrines, une augmentation de salaire et la construction d'une rallonge au couvent.
Les commissaires ne veulent pas prendre seuls cette décision et convoquent une assemblée des contribuables pour discuter du réengagement des Soeurs du Bon Pasteur. Dans l'impossibilité de répondre favorablement aux soeurs, il est convenu d'engager temporairement des institutrices laïques pour faire les classes. Les travaux au sous-sol et aux latrines sont effectués pour assurer une certaine salubrité des lieux. Cette situation temporaire durera pendant plus de dix ans. En juillet 1890, les Soeurs du Bon Pasteur quittent et ne seront remplacées qu'en 1903 par une nouvelle communauté, les Soeurs de Notre-Dame du Perpétuel secours. En 1894, l'abbé Apollinaire Gingras avait bien tenté de convaincre la communauté des Soeurs du Saint-Rosaire de Rimouski mais sans succès.
Au départ des Soeurs du Bon Pasteur, le couvent est reconverti en maison d'école modèle pour filles dont l'instruction est dispensée par deux institutrices laïques, Mlle Célestine Desjardins et Carméline Gravel.
En 1896, il est convenu de réduire les classes du centre à trois classes indépendantes l'une de l'autre. Ainsi, l'institutrice Mary Verreault enseigne et dirige la classe élémentaire des petits garçons et des petites filles. Cette classe, de même que la classe modèle des garçons située dans la maison d'école des garçons, pourront être transférées dans le bâtiment du couvent si les commissaires le jugent à propos à un moment ou l'autre dans l'année. Cette décision provoque la mise à pied de deux enseignants. Par ailleurs, l'usage des salles de classes de la maison d'école des garçons devient communautaire durant la saison d'été comme en témoigne la résolution du 3 mai 1896 qui "donne la jouissance des salles de l'école des garçons du village gratuitement à l'usage du bazar, du premier jour de juillet au quinzième jour d'août à condition que les salles et tout le matériel des classes soient remis en pareil état et sans aucun dommage".
Le 7 février 1903, les commissaires adoptent une résolution visant l'engagement d'une communauté religieuse pour rétablir le couvent au cours de la prochaine année scolaire, 1903-1904. Quatre religieuses sont engagées pour dispenser l'enseignement dans les classes du village et, plus tard, une cinquième est engagée comme le confirme une résolution de la réunion du 18 octobre 1903 des commissaires, à raison de 50$ par année. L'ouverture officielle des classes du couvent a lieu le 7 septembre 1903.
Ces cinq religieuses sont à nouveau confirmées dans leurs fonctions en avril 1904, à raison de 100$ par an. Une deuxième mission s'ouvre puisque deux nouvelles soeurs sont engagées pour l'enseignement à l'école du bas de la paroisse.
UN TROISIÈME COUVENT : LE VIEUX COUVENT
le 29 octobre 1904, une résolution stipule les intentions de la commission scolaire de procéder à des travaux majeurs sur le couvent construit dans les années 1830, incluant un agrandissement de 30 pieds sur trois étages. Les nouvelles dimensions du bâtiment pourraient être de 80 pieds sur 30 pieds. L'agrandissement a pour but de regrouper toutes les classes de l'arrondissement du centre en un seul et même établissement.
La bénédiction officielle du couvent a lieu le dimanche 13 octobre 1907. La bénédiction de la "magnifique cloche" offerte par les députés Georges Parent et Alexandre Taschereau a eu lieu la veille.
En 1920-1921, les religieuses du couvent accueille 238 élèves. En 1928, ils seront 265, et trente ans plus tard, en 1958, on compte 376 élèves de la 1re à la 11e année.
En 1958, les soeurs sont débordées par la gestion des 14 classes du couvent et des quatre autres classes à leur charge, situées dans la Maison L'Heureux. Ce bâtiment avait été acheté par la commission scolaire en 1932 pour combler le manque d'espace au couvent. Le bâtiment ne suffit plus à contenir les élèves du village. Dès 1955, les commissaires doivent envisager une solution à ce manque d'espace.
Après quelques années de discussions, un nouveau couvent sera construit, cette fois sur le plateau près de l'église, et permettra, en 1963, de réunir en un seul et même endroit toutes les écoles primaires et secondaires de la Commission scolaire de Château-Richer : l'Académie Laval, la Maison L'Heureux et les écoles des bouts de paroisse. L'école de Saint-Achillée joindra les rangs lors de la fusion de la Commission scolaire de Saint-Achillée avec celle de Château-Richer en 1971.
LE VIEUX COUVENT
Le vieux couvent loge aujourd'hui le Centre d'interprétation de la Côte-de-Beaupré aujourd'hui appelé "Aux Trois Couvents". Ce centre fait revivre l'histoire des trois couvents érigés sur le site depuis 1696. Il présente des expositions et offre ses programmations culturelles et éducatives dans le vieux couvent qui a été rénové à deux reprises et dont le site est classé patrimoine archéologique depuis 2015.
Une visite s'impose...
Source: Buteau, Lise (2005). « Château-Richer, Terre de nos ancêtres en Nouvelle-France », pages 321-334