L’orphelinat agricole Notre-Dame de Montfort

Cimetière de Notre-Dame de Montfort

Dans ce cimetière reposent des membres de la congrégation religieuse de la Compagnie de Marie : Montfortains et Filles de la sagesse ainsi que des orphelins, décédés entre 1897 et 1942. 

C’est le dernier témoin du vaste domaine que fut l’orphelinat agricole dont les nombreux bâtiments se déployaient autour de l’habitation principale nichée entre les lacs Saint-François-Xavier et Chevreuils. On y retrouvait une scierie, un poulailler, un atelier de menuiserie, une étable et la chapelle qui servit d’église paroissiale aux résidents du village jusqu’en 1955.


Les orphelinats

Vue générale de l’orphelinat, vers 1940.
Source : BAnQ, collection La Presse

Les premiers orphelinats au Québec apparaissent vers 1825 à l’initiative de sociétés charitables et du clergé. Ils ont comme objectif de soustraire à la rue et à une vie de criminalité miséreuse, les enfants abandonnés, maltraités ou orphelins. Le nombre de ces malheureux s’accroît rapidement au cours du 19e siècle avec la densification urbaine. 

En avril 1869, une loi concernant les écoles d’industrie pour les enfants en besoin de protection est adoptée par le gouvernement provincial créant ainsi un système d’écoles privées subventionnées par l’État et principalement gérées par les congrégations religieuses.


Benjamin Rousselot

Benjamin-Victor Rousselot (1823-1889)
Source : Archives de la ville de Montréal

C’est dans ce contexte social que le prêtre sulpicien originaire de France, Benjamin-Victor Rousselot (1823-1889) élabore un projet d’orphelinat agricole pour garçons. 

Alors curé de la paroisse Notre-Dame à Montréal, il a déjà à son actif la mise sur pied d’asiles et de garderies pour les plus défavorisés ainsi que la première école pour les enfants aveugles au Canada.


Le projet

Bienfaiteurs : les pères et frères montfortains, autour de 1890.
Source : BAnQ

En 1880, Rousselot rallie à son projet d’orphelinat agricole, des investisseurs montréalais qui ont acquis des lots dans le canton de Wentworth : François Froidevaux, F. X. Montmarquet, Joseph Brunet, L. A. Grenier, Eusèbe Senécal et George Laurent, G. A. Raymond, God. Chapleau, V. Pausé, A.S. Hamelin, Ed. Lafleur, et J. G. Guimond.


Le choix du lieu

Si la presse de l’époque est très élogieuse pour ces bienfaiteurs et pour la cause charitable à laquelle ils se sont associés, le choix du lieu de l’établissement en déconcerte quelques-uns.

« Ces messieurs, guidés moins sans doute par la prudence humaine que par une secrète impulsion de la Providence, eurent l’idée de choisir, dans un pays où les terres fertiles abondent, un lieu à 12 milles du village de Saint-Sauveur et à cinq milles de tout pays habité, situé en pleine forêt et en pleine montagne, absolument impropre à la culture, pour y poser le fondement de leur orphelinat agricole.»

Outre la philanthropie, un certain nombre de facteurs politiques et économiques ont influencé la réalisation de l’orphelinat à l’endroit désigné ; le désir du clergé de faire surgir des paroisses catholiques dans une région qui se peuplait d’anglophones protestants, le développement de nouveaux territoires pour contrer l’exil des francophones vers les manufactures américaines et finalement la présence de ressources forestières de première qualité.


Les Montfortains

L’orphelinat en 1885.
Source : Collection Société d’histoire et de généalogie des Pays-d’en-Haut

Pour diriger l’orphelinat agricole, le curé Rousselot invite en 1881 les Montfortains de la Compagnie de Marie de Saint-Laurent-sur-Sèvres en France. Ceux-ci comme bien des congrégations religieuses sont sous la menace d’expulsion et de confiscation de leurs patrimoines alors que les institutions françaises deviennent laïques.


Prise en charge de l'orphelinat

« ... c’est le 22 novembre [1883]... que les missionnaires de la Compagnie de Marie en prirent charge. [L’orphelinat] se compose pour le moment de deux mille arpents de terre, dont trente à quarante de défrichés, d’un moulin, d’une chapelle et d’une petite résidence pour les professeurs et leurs élèves ; ces derniers sont au nombre de six seulement.. »

Les Montfortains sont essentiellement des prédicateurs. À leur arrivée en 1883, l’archevêque d’Ottawa leur confie la responsabilité de quelques paroisses dans la région ; la mission de Saint-Michel de Wentworth, celle de Saint-Adolphe d’Howard, et Notre-Dame-de-la-Sagesse au lac des Seize-Îles.


Les Filles de la sagesse

Les orphelins devant la maison des Filles de la sagesse, côté est. Orphelinat Notre-Dame de Montfort, 1896.
Source : Les engagements des Filles de la sagesse du Canada

Un an après leur arrivée, les missionnaires montfortains font appel à la congrégation française des Filles de la sagesse pour assurer l’intendance de l’orphelinat. Dévouées à l’enseignement et au soin des malades, elles auront la charge des enfants de 4 à 10 ans, de la pharmacie et des tâches ménagères.


Extrait du journal d'une sœur

Un extrait du journal de sœur Aimée du Calvaire raconte le trajet entre Saint-Jérôme et Montfort qu’elle entreprend pour la première fois avec six consœurs en septembre 1884.

« ..nous avons pris le chemin de la forêt. [..] Nous avions encore 10 lieues (48 km) à faire dans la forêt et puis rien pour nous changer en arrivant, nos bagages étant restés à Montréal. Impossible de se faire une idée de la difficulté du chemin qui nous restait à parcourir. La boue allait jusqu’aux genoux des chevaux, puis une roue passait sur un arbre tandis que l’autre s’enfonçait dans un trou et ensuite montait sur un petit rocher. Tout le long du chemin, c’était montagnes et vallées si bien que nous avons nommé ce chemin le “tiens-toi-bien”. »

Bulletin des Filles de la sagesse du Canada, 
septembre-octobre 2009/numéro 23.

En 20 ans, les Filles de la sagesse vont édifier 27 établissements dans cinq provinces canadiennes. Elles seront appelées à administrer l’hôpital Sainte-Justine et mettront sur pied plusieurs écoles primaires, secondaires et d’infirmières.


La mission

Atelier de couture à l’orphelinat Notre-Dame de Montfort, 1928.
Source : Les engagements des Filles de la sagesse du Canada

L’apprentissage de la religion et de l’agriculture pratique est au centre de la mission de l’orphelinat, cependant plusieurs métiers comme la menuiserie, la couture, la reliure, l’imprimerie, la cordonnerie et la boulangerie y sont aussi enseignés. 

Dans les premières années, on accueille surtout des adolescents pour les former rapidement aux travaux agricoles. Mais la culture maraîchère et céréalière donne peu de résultats sur le sol mince des collines. 

En 1887, un don de 10 000 $ de l’abbé Gédéon Huberdeau (1823-1887) de Montréal permet d’acheter la ferme de William Stanford dans le canton d’Arundel ; le « jardin du Nord » comme l’avait baptisé le curé Labelle. Un moulin à grain, un moulin à scie et une beurrerie sont rapidement construits
grâce aux corvées des paroissiens locaux, on appelle cette contribution communautaire « faire un bi ».


La succursale d’Huberdeau


Des orphelins aux travaux des champs à la ferme d’Huberdeau. Début du 20e siècle.
Source : BAnQ

À partir de 1894, les enfants de neuf ans et moins logent à Notre-Dame de Montfort et les plus vieux vont à la ferme d’Huberdeau dont la localité a adopté le nom du bienfaiteur. 

Les pensions allouées par le gouvernement provincial et la municipalité de Montréal cessent à quatorze ans, laissant les enfants à eux-mêmes. C’est à cet âge qu’ils sont placés chez les cultivateurs qui en font la demande. 

Ces derniers doivent leur payer un petit salaire pour leur travail et veiller à leurs besoins.

« .. de 224 enfants ici réunis, 61 sont entretenus aux frais du gouvernement de Québec; 92 par la ville de Montréal.[..] Depuis onze ans, 207 enfants ont quitté l’orphelinat : quinze pour le lieu de repos d’où l’on ne revient pas; 54 ont été placés chez les cultivateurs; quelques-uns comme apprentis à Montréal et les autres retirés par leurs familles. » La Presse, 29 octobre 1894.


L’éducation

Menuiserie et hache mécanique. 
Autour de 1930.
Source : BAnQ, collection La Presse

En 1901, on remplace les bâtiments devenus exigus par un édifice de cinq étages. Au début du 20e siècle, l’orphelinat abrite plus de trois cents enfants, une vingtaine de Montfortains et une quarantaine de sœurs de la sagesse.


Le système de correction disciplinaire

Dans un article de « L’Avenir du Nord » de 1916, le journaliste s’enquiert sur « le système de correction disciplinaire » utilisé dans l’institution et découvre une méthode de renforcements positifs et négatifs basée sur l’attribution de points selon le comportement des enfants.

« Les punitions et les châtiments corporels sont abandonnés ici, me dit le Père Winnen. On ne cherche pas non plus à humilier les enfants en les mettant à genoux ou en leur faisant baiser la terre. » « Si les bons points l’emportent, le nom de l’élève est inscrit au tableau d’honneur. Si au contraire ce sont les mauvais points qui sont en plus grand nombre, c’est au tableau noir que le nom est inscrit. 

Ces deux tableaux [sont] de chaque côté de la porte d’entrée de l’institution.Comme récompense pour les bons points obtenus les élèves ont le droit d’acheter au magasin de l’institution une quantité de petits articles,jouets, etc. Ceux qui ont de mauvais points perdent leur congé et se rendent utiles aux travaux de la maison ou de la ferme alors que leurs camarades s’amusent dans les grandes cours de l’orphelinat.»


Le départ

Chapelle de l’orphelinat. Début 19e siècle.
Source : BAnQ, collection la Presse

L’entreprise des Montfortains est exceptionnelle par son ampleur et aussi fort coûteuse. Bien que la législation sur l’assistance publique assure un soutien gouvernemental, ces subsides restent insuffisants pour administrer l’orphelinat.

En 1923, la propriété d’Huberdeau est vendue aux Frères de Notre-Dame de la Miséricorde. Quant à l’orphelinat de Notre-Dame de Montfort, il cesse ses activités en 1935 et est transformé en noviciat pour les Montfortains et en maison de retraite pour les sœurs de la sagesse.

Lisbourg

Les orphelins à la baignade, entre 1940 et 50.
Source : BAnQ, collection La Presse

À la demande de l’archevêque d’Ottawa, les pères de Sainte-Croix reprennent l’ancien établissement de Montfort en 1943. L’orphelinat devient l’école Notre-Dame-des-Monts de Lisbourg (pour Le bourg des Industries Scolaires). Les jeunes garçons de 10 à 18 ans y reçoivent une formation professionnelle dont le programme est sous le contrôle du Conseil de l’instruction publique. 

L’enseignement s’inspire de l’approche de Saint Jean Bosco (1815-1888) caractérisée par l’apprentissage d’un métier, la pratique sportive et la présence de divertissements dans un encadrement bienveillant et constructif. 
« Dans les corridors de cette bâtisse de cinq étages, vous chercherez en vain un surveillant la nuit, et, le jour, vous y rencontrerez des gamins pleins d’entrain, ni gênés, ni effrontés, qui ne cherchent pas à dissimuler la cigarette qu’ils sont à fumer. » La Revue moderne, septembre 1948.

L’édifice vétuste est rénové partiellement pour assurer son ouverture, mais les fonds manquent pour procéder à la mise aux normes qui entrainerait une reconstruction complète. L’école ferme ses portes en 1955, et sa démolition, au début des années 1960, clôt un chapitre important de l’histoire de Montfort.

Extrait de
Tour historique guidé de Wentworth-Nord

Tour historique guidé de Wentworth-Nord image circuit

Présenté par : Municipalité de Wentworth-Nord

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