La maison rose

186, rue Principale

Source : André Biéler (1896-1983) Notre maison, Saint-Sauveur, 1930 Crayon de couleur sur papier, 18 x 26.5 cm Collection privée


La Maison

La maison sise au 186, rue Principale attire notre regard avec sa robe rose bonbon, une couleur qu’elle exhibait déjà il y a près de 175 ans. Construite vers 1850, elle a subi des transformations liées à sa fonction commerciale, mais sa structure en pièce sur pièce et son toit aux lamiers retroussés typiques de la fin du 19e siècle nous rappellent son âge vénérable. Parmi ses propriétaires, notons Sylvestre Beauchamp en 1880, François Gareau en 1887, Joseph Ouellette en 1893, Damasse Maillé en 1897, puis, l'année suivante, François-Xavier Clouthier, qui fut maire de Saint-Sauveur de 1885 à 1921.

D’anciens documents photographiques nous révèlent que le peintre André Biéler et sa femme Jeannette Meunier l’ont habitée de 1931 à 1933. Ces locataires bien particuliers ont laissé une empreinte artistique qui a fait de la maison rose une attraction originale à Saint-Sauveur pendant plusieurs décennies. 

La maison est alors la propriété de l'un des frères d’André Biéler, Jacques, un jeune ingénieur, célibataire et membre du club de ski Red Birds de l’Université McGill. À partir de 1931, André et Jeannette y font des séjours prolongés, car l’air frais de la montagne est un baume pour les poumons d’André, qui fut exposé au gaz moutarde lors de sa participation à la Première Guerre mondiale. Les Laurentides n’ont pas de secrets pour les Biéler. En 1912, trois ans après leur arrivée de Suisse, leur père, Charles Biéler acquiert une ferme à Lac-des-Seize-Îles, Baptisée « la Clairière », cette ferme sera leur résidence d’été pendant de nombreuses années.


Un couple d’artiste

André et Jeannette dans la maison rose en 1931.

Jeannette Meunier est décoratrice d’intérieur et organise depuis 1928 une exposition annuelle de peintres canadiens pour le magasin Eaton au centre-ville de Montréal.

Archives A.B. dans André Biéler an artist Life and Time, de Frances K. Smith, Ed. Philippe Baylaucq, 2006


Rencontre

C’est à cette occasion qu’elle rencontre André Biéler. Ils se marient en 1931 et s’installent dans un atelier sur la rue Peel. Ils y côtoient l’ethnologue Marius Barbeau et plusieurs peintres comme Edwin Holgate, A. Y. Jackson, John Lyman, Robert Pilot et Elizabeth Frost.

Dans les années trente, plusieurs artistes découvrent les Laurentides et viennent régulièrement s’inspirer de ses paysages. Certains y demeurent ou y ont un studio : Edwin Holgate est à Mont-Tremblant, Anne Savage, au lac Wonish, John Lyman à Saint-Jovite. Ces résidences deviennent des pied-à-terre pour leurs amis. Comme on peut le voir sur cette photographie, l’intérieur de la maison rose offre un décor simple et authentique, un environnement propice à la création, loin de l’agitation de la ville.


L’art de la fresque

André Biéler et sa femme Jeannette travaillent sur la fresque de « Saint Christophe et le Christ enfant » sur la façade de la maison rose.

Photographie : Hazen Sise, 1931, Archives nationales du Canada.


Sur la façade de la maison rose

En 1931, André Biéler entreprend la réalisation d’une authentique fresque sur la façade de la maison rose. Il invite l’architecte Hazen Sise et le peintre George Holt à Saint-Sauveur-des-Monts pour en documenter les différentes étapes. Suivant un procédé ancien, il apprête le mur de la maison avec des couches de mortier de plus en plus fin. Puis il transpose le dessin grâce à une méthode appelée « spolvero », qui consiste à utiliser un carton sur lequel les lignes de l’esquisse sont percées de multiples petits trous. Le carton est apposé sur la surface et frotté avec un tampon qui contient du noir de fumée ou charbon de bois, laissant apparaître le pointillé sur le mortier. Enfin, il réalise la couche picturale en mélangeant un mortier fin avec les pigments naturels qu’il applique directement sur la surface encore humide.

Biéler fut initié à cette technique par son oncle Ernest Biéler (1863-1948), peintre suisse, qui l’avait invité à peindre une fresque monumentale sur le fronton de l’Hôtel de Ville du Locle dans le canton de Neuchâtel. Celle-ci s’y trouve toujours. D'ailleurs les Loclois ont fêté ses 100 ans en 2022.


Regarde Christophe et va-t-en rassuré

Jeunes skieuses devant la fresque présentant la maison rose, le 25 janvier 1942. L’arrêt devant la fresque de saint Christophe est devenu rapidement un rituel pour les skieurs. 

Photographie: BAnQ, Fonds Conrad Poirier


Dévotion du peintre

Patron des voyageurs, protecteur contre les accidents, les maladies et les catastrophes naturelles, Christophe fait l’objet d’une dévotion populaire depuis le cinquième siècle. Pour renforcer la croyance, le peintre a écrit sur sa fresque « Whoever see this image shall not faint or fall today », quiconque voit cette image ne s’évanouira ni ne tombera aujourd’hui.

La légende de saint Christophe raconte l’histoire d’un homme de grande taille, un géant, qui aida l’Enfant Jésus à traverser une rivière. Son nom Christophe signifie d’ailleurs porteur du Christ.


L’humaniste

L’œuvre d’André Biéler témoigne de la vie rurale et villageoise de son époque. 

Photo : André Biéler - La criée à la sortie de Saint-Sauveur-des-Monts, 1930. Huile sur bois 25.6 x 32.9 cm. Musée des Beaux-Arts du Canada.


À l’aube de la modernisation

Les artistes du Québec sont impatients de voir un changement se produire dans cette société encore très conservatrice des années 1930, particulièrement dans le domaine de l’art. La création de la Société d’art contemporain par le peintre John Lyman en 1939 est une bouffée d’air pour les jeunes artistes, les critiques et galeristes qui se retrouvent autour des expositions mises sur pied par l’association.

Source : La maison rose autour de 1967. Photographie de Madeleine Gagné.


1941

En 1941, André Biéler contribue lui aussi à l’évolution de l’art au Canada en organisant la Conférence des artistes canadiens à l’Université Queen’s de Kingston. On y discute des nouvelles techniques artistiques et aussi de questions fondamentales comme la place de l’artiste dans le monde. De ce premier rassemblement national naîtra la Fédération des artistes canadiens, dont les branches régionales soutiendront un grand nombre de créateurs.

Biéler est professeur au Centre d’art Agnès Etherington de l’Université Queen’s à partir de 1936, mais il revient à l’occasion dans les Laurentides pour peindre. Au fil des ans, la maison rose passe en d’autres mains, elle aura bien des propriétaires. Sa fresque se détériore avec le temps, elle y est encore en 1991, mais «retouchée» avec de l’huile et de l’acrylique. À son emplacement, nous retrouvons aujourd’hui une baie vitrée qui accommode la fonction désormais commerciale de la maison.

En contact direct avec la nature

Elle est marquée par son amour pour les paysages et les gens qui les habitent et dont il a une connaissance intime puisqu’il a partagé leur quotidien. Alors que le milieu de l’art au Canada peine à trouver son expression nationale au-delà des paysages du Groupe des Sept, Biéler croit qu’il est important que les artistes soient en contact direct avec la nature et la société dans laquelle ils vivent s’ils veulent créer une œuvre identitaire.

« La criée à la sortie de l’église de Saint-Sauveur-des-Monts » montre les Sauverois à la sortie de la messe dominicale. Sur le parvis, on voit le crieur sur la tribune annoncer la mise aux enchères des produits fermiers apportés par les paroissiens. Cette coutume provient des débuts de la colonisation française et fut ravivée au début du 20e siècle. Les revenus de la vente servaient au soutien financier de la paroisse.

Extrait de
Histoire de Saint-Sauveur - D'hier à aujourd'hui

Histoire de Saint-Sauveur - D'hier à aujourd'hui image circuit

Présenté par : Ville de Saint-Sauveur
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